Pour cette édition de Nuit Blanche portant sur le “Faire œuvre ensemble”, l’Observatoire de l’Espace a choisi d’explorer les archives d’une aventure collective : le développement et la maîtrise des ballons stratosphériques dans les années 1960 en France.
Ce projet d’art contemporain s’est construit autour de six récits historiques et artistiques qui entraient en résonnance et se répondaient. Trois artistes, Antoine Belot, Sylvie Bonnot et Johan Decaix, retenus à la suite d’un appel à projets, se sont inspirés des archives spatiales du Cnes afin de produire des œuvres originales marquées par un aspect ou un moment de cette transition. Antoine Belot a présenté un film poétique et immersif où ballons et objets spatiaux évoluaient dans un temps qui leur est propre ; Johan Decaix a proposé un documentaire sensible et loufoque autour de sa dernière aventure spatiale réalisée à bord d’un ballon stratosphérique depuis la maison familiale de ses grands-parents ; enfin, Sylvie Bonnot a réalisé un corpus d’œuvres à partir d’images d’archives du Cnes auxquelles elle a appliqué divers procédés de transformation photographique, faisant ainsi apparaître de nouveaux motifs et donnant à ces images une autre interprétation possible.
En échos à ces productions artistiques, sur le fil de la fiction et de la réalité historique, l’exposition dévoilait également trois histoires sur les ballons stratosphériques méconnues du grand public. Au moyen de pièces patrimoniales, documents historiques et matériel spatial, le public a pu découvrir l’histoire de Robert Régipa, ingénieur au Cnes qui joua un rôle déterminant dans le développement des ballons en France, la naissance de la base spatiale d’Aire-sur-l’Adour, spécialisée dans le lâcher de ballons, et enfin, le programme Éole qui associera pour la première fois ballons et satellites.
Avec
Transition, l’Observatoire de l’Espace réaffirmait une nouvelle fois sa volonté d’élaborer d’autres formes d’exposition en dehors des catégories disciplinaires, en quête de nouvelles frictions entre le réel et l’imaginaire.
En écho à cette exposition, l’Observatoire de l’Espace a sorti le 15ème numéro de sa Revue de création
Espace(s) portant sur le thème de la légèreté. Les trois artistes présentés lors de Nuit Blanche, Antoine Belot, Sylvie Bonnot et Johan Decaix, ainsi que cinq auteurs contemporains : Sabine Revillet, Marc Perrin, Emmelene Landon, Liliane Giraudon et Frank Smith, étaient invités à explorer les archives portant sur l’histoire des ballons stratosphériques en France dans les années 60 pour en faire émerger de nouveaux récits en résonnance avec ceux présentés lors de l’exposition
Transition, aux frontières du champ narratif, sociologique, poétique, plastique ou simplement visuel.
Récits spatiaux : trois récits autour d’archives des programmes ballons
Robert Régipa : d’une aventure individuelle à un projet collectif
En 1961, le capitaine de l’armée de l’air Robert Régipa, ingénieur mécanicien, affecté au Service d’Aéronomie du CNRS est formé durant 4 mois à la physique de l’Espace avant d’être envoyé en mission aux Etats-Unis à l’Université du Minnesota où il assiste au lancement d’un ballon. A son retour en France, il s’attache à développer d’une part un atelier de fabrication de ballons dans lequel sa famille jouera un rôle très actif et d’autre part, déployant une grande inventivité, à mettre au point de nouvelles formes de ballons pour satisfaire les besoins de la communauté scientifique spatiale.
Schéma de gonflage de ballons Robert Régipa, années 1960
Croquis du ballon tétraédrique Robert Régipa
Aire-sur-l’Adour : naissance d’une base spatiale
Pour répondre à la recherche d’un site de lâcher de ballons qui soit éloigné des grandes agglomérations, l’Armée de l’air suggère la zone située à côté du petit aérodrome d’Aire-sur-l’Adour. Dès l’été 1962, cinq vols de ballon y sont réalisés dont quatre couronnés de succès. Le 27 avril 1963, le conseil d’administration du CNES autorise le Président du CNES à signer un bail emphytéotique de 1 franc par an pour l’installation du Centre de lancement des ballons d’Aire-sur-l’Adour dont l’inauguration officielle par le ministre Gaston Palewski a lieu le 12 septembre 1964. Le site est doté de toutes les composantes nécessaires à la conduite des opérations : station météorologique, mur anti-vent, salles d’intégration, moyens de poursuite…
Tour d’antennes du site d’Aire- sur-l’Adour
Maquette du mur anti-vent du Centre de Lancement de Ballons d’Aire-sur-l’Adour
Eole : un programme qui associe ballons et satellite
Imaginé dans les années 1960, fruit d’une coopération entre le CNES et la NASA, le projet Eole avait pour objectif d’améliorer les prédictions des perturbations météorologiques de grande échelle. Son originalité était d’associer un satellite de localisation et de recueil des données avec près de 500 ballons surpressurisés dérivant au gré des vents, à une altitude de 12 000 mètres environ, équipés de capteurs de mesures météorologiques et de balises de liaison avec le satellite. Les données étaient stockées dans la mémoire du satellite avant d’être retransmises à des stations de réception lorsqu’il passait au-dessus d’elles.
Ensemble ballon-nacelle en cours d’ascension à partir du site de Lago Fegnano (Argentine)
Abri pour ensemble ballon-nacelle sur le site de Lago Fegnano (Argentine)
Récits artistiques
Un ballon qui dérive se fiche de savoir l'heure qu'il est d'Antoine Belot
Film d'animation 3D (10 mn), projection immersive
Antoine Belot travaille depuis deux ans sur la question de simulation et s’intéresse tout particulièrement aux techniques de réalités virtuelles et à l’animation en 3 dimensions dans des dispositifs interactifs qui interrogent le rapport de pouvoir entre une œuvre et son spectateur, mais aussi l’appréhension sensible d’une installation dans un espace d’exposition.
Pour Nuit Blanche, Antoine Belot s’interroge sur les échelles de temps. Au delà des données, des captations, de la science, de l’interprétation du réel, il y a l’expérience du temps. Les objets encadrant les dispositifs scientifiques de l’aventure spatiale sont dédiés à des échelles qui les dépassent. Chacun de ces objets que ce soit un thermomètre, une voiture radio, un avion d’observation, un satellite, un ballon, une base de lancement ou même la campagne dans laquelle elle se trouve est en étroite connexion avec un temps qui lui est propre. Faire corps avec ce temps c’est retrouver l’état de rêve, l’enchantement. Un ballon vole tout simplement.
Les Aéroplis de Sylvie Bonnot
Sculpture et procédé de transformation photographique
Sylvie Bonnot met la photographie à l’épreuve d’un procédé développé par ses soins : la mue. Imaginé comme un moyen de creuser l’espace de recherche autour de l’image, ce procédé permet de laisser toute la place aux formes, aux attitudes, aux lignes.
Avec
Les Aéroplis, Sylvie Bonnot poursuit ce travail et propose une étude formelle des ballons stratosphériques au moyen de photographies issues des archives du CNES. A partir de ces images, elle constitue un atlas de formes et d’états, qui sera la base de différentes transformations. Elle a réalisé notamment une mue qui sera appliquée au creux d’un volume polygonal suspendu, évocateur d’un ballon, à l’échelle du corps du scientifique, celui du flâneur.
Projet Etoile de Johan Decaix
Film documentaire et installation
Sous la forme d’un documentaire, c’est une nouvelle aventure spatiale que se propose de filmer et de mettre en scène
Johan Decaix : un homme face à son rêve, qui souhaite photographier la courbure de la terre et la limite de l’espace avec l'appareil photo de son grand-père. Pour cela, il devra atteindre l'Espace au moyen d’un ballon stratosphérique et de sa propre station de lancement construite dans le jardin de ses grands-parents en Picardie. La maison familiale regorge de souvenirs et de matériaux qui lui permettront d’arriver à ses fins : une combinaison trouvée dans la grange, un coffre qui fera office de nacelle... Le jour du lancement, il organise une cérémonie de départ devant la station entouré de sa famille et des gens du village. Atteindra-t-il les étoiles ?
Constructeur-bricoleur-narrateur infatigable, Johan Decaix a bâti pour Nuit Blanche un nouveau lieu d’utopie spatiale où, parmi les ballons stratosphériques et l’imaginaire « d’en haut » qu’ils suggèrent, se cache une certaine idée de ré-enchantement.
Expositions