le laboratoire culturel du Centre National d'Études
Spatiales
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d'Études Spatiales
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Centre National d'Études Spatiales
Antoine Bioy
Antoine Bioy, psychologue hypnothérapeute, a participé à une campagne de vol parabolique à bord de l’Airbus zero-g en octobre 2018. Son vol s’est effectué dans le cadre de la résidence en impesanteur proposée aux chercheurs en sciences humaines par l’Observatoire de l’Espace. Il revient sur son expérience de vol dans le texte ci-dessous.
L’impesanteur est logiquement associée à la légèreté. Les sensations en hypnose le sont aussi : un flottement, un mouvement sans contrainte qui se retrouve… La rencontre entre les deux domaines était précisément au centre de l’expérience que j’ai vécue le 2 octobre 2018. Dès l’annonce de l’acceptation du projet en juillet dernier, il a fallu commencer la préparation. Les temps d’impesanteur étant brefs, quoique je sois habitué à pratiquer l’hypnose, il fallait m’assurer que je pouvais partir en autohypnose très rapidement. Je me suis donc entrainé tous les jours à entrer en transe hypnotique, et à ce que cette transe soit centrée sur les perceptions corporelles. En effet, mon projet consistait à explorer la notion de « conscience de soi » dans des environnements où les sens sont modifiés. Les ressentis corporels constituent le socle principal de cette « conscience de soi », que se passe-t-il alors lorsque le corps perd pour partie ses repères, oscillant en l’occurrence entre 0G et 2G ? Il ne s’agit pas simplement d’une curiosité intellectuelle : cette « conscience de soi » intervient dans les processus psychologiques et de la personnalité, autrement dit dans les facteurs d’équilibre de toute personne.
Le vol a rempli toutes ses promesses, au prix cependant d’une adaptation à l’inattendu. L’élément le plus important était que je pensais pouvoir déployer mon expérience de l’autohypnose dans la zone « free floating », celle souvent montrée dans les documentaires : on décolle et on flotte sans contrainte. En fait cela n’a pas été possible : le temps passé à chercher un équilibre lorsque l’on est en « simili apesanteur » couvre la demi-minute impartie. La première de trois aigreurs d’estomac m’a fait retourner à mon siège pour m’apercevoir qu’à cette place, l’expérience devenait possible : la sangle lâche à la taille permettait à tout mon corps de profiter des sessions d’impesanteur comme de pesanteur accentuée (proche de 2G) tout en organisant un espace où je n’avais pas besoin de chercher un équilibre. J’ai pu ainsi passer les 23 paraboles suivantes à alterner autohypnoses « simples », et autosuggestions (portant sur les ressentis corporels) en autohypnose à différentes phases de gravité.
J’ai enregistré en audio toutes les séquences de cette recherche en sciences humaines, et l’analyse est maintenant en cours selon une approche mêlant psychologie clinique et phénoménologie. Quelques éléments néanmoins : l’impesanteur est un milieu propice pour des transes hypnotiques assez régressives et souvent profondes. La « conscience de soi » est fortement mise à mal durant ces temps de variation de la gravité, et cela demande un effort important pour que le psychisme trouve une solution pour sortir de l’impression d’être un corps tour à tour morcelé (2G) et évanescent avec perte de contrôle (0G). La réalisation d’une tâche (en hypnose pour moi, sur leur espace de travail pour les autres collègues chercheurs qui étaient à bord) est une solution possible, mais sans doute aussi provisoire. Une adaptation psychique est requise pour ne pas « perdre la tête » en même temps qu’elle semble s’envoler !